Rinçage de chandeliers

36°56N
37°13W

De très nombreuses « premières fois » émaillent ce voyage depuis le premier jour. Première nav en mer, premiers détails à réparer, premières nuits en mer, premier mouillage, première traversée en solo, …

Ce matin, c’est la première fois que je mets les chandeliers* dans l’eau. La première fois que je passe du calme plat à la grosse baston, d’une vitesse quasi nulle à 9.7 nd en 45 secondes.. Toutes voiles dehors, à 0.9 nd, j’étais en train de me résigner à mettre le moteur quand le grain est arrivé. C’était un gros, gros, gros grain du matin. Je l’avais vu au radar, énorme tache jaune sur l’écran.
Comme beaucoup d’autres, mais plus gros et surtout beaucoup, beaucoup plus rapide.. En mettant la tête dehors, en plus de l’énorme nuage noir, je remarque une dizaine de dauphins, autour du cockpit, en train de faire des ronds dans l’eau – bizarre. Le temps de sortir prendre deux ris, le grain est là ! En une fraction de seconde, sous un double arc-en-ciel fluo, entouré de dauphins, Baroga se couche : je suis en train de rouler le foc, ça claque de partout, j’ai l’impression que le mât va se casser en deux ! Sept tonnes, d’un coup sur le côté comme ça, comme un jouet dans une baignoire.. Ca fait très, très bizarre… je choque* tout, j’abats* le plus possible, il reste couché.. le pied des chandeliers est dans l’eau ! On va a une vitesse phénoménale, incroyable ! Une pluie drue et horizontale se mêle à l’écume arrachée du sommet des vagues.. Je finis de rouler le foc, l’arc-en-ciel dessine maintenant une double arche psychédélique parfaite au-dessus de Baroga qui fait route à fond la caisse vers le soleil rasant du matin.. dans le cockpit, je me tiens quasiment debout sur la partie verticale des coffres, celle qu’on a derrière les mollets quand on est assis. Le foc est roulé, on est grand largue. Passé le gros moment d’adrénaline, le bateau stabilisé, il n’y a plus rien à faire que contempler les forces de la nature à l’oeuvre.. c’est fascinant, sauvage, démesuré, stupéfiant, somptueux ; ça a la beauté terrible et hypnotique desmonstrueuses créatures de légende.. wahou. Un grand moment.

Sept minutes plus tard, Baroga fait à nouveau le bouchon dans un vent inexistant. En me penchant à l’intérieur pour constater les dégâts, je remarque de l’eau au fond du bateau.. et puis il y a deux rangements, à la hauteur des hanches, qui sont pleins d’eau aussi, avec leur contenu qui flotte dedans ? Mais que s’est-il passé ?? Je finis par comprendre le bateau était tellement couché que l’eau est entrée par l’écoulement de la plonge (!!!) et s’est déversée à l’intérieur de ces bacs de rangement, qui ont eux même débordé dans le bateau..!

Après une demi-heure de rinçage / séchage, je sors régler les voiles – une légère brise s’est levée. Les dauphins sont toujours là, de part et d’autre du cockpit ! Je vais lâcher les deux ris, dérouler le foc, ils s’en vont.. merci les copains d’avoir été là dans ce moment hors du commun.

Il n’y a pas à dire, la mer, ça rend humble..

* Définitions dès à présent tirées de Voiles, Mers lointaines, îles et lagons, 2e édition, Bernard MOITESSIER, Editions Flammarion, 2012

chandeliers = tiges de fer verticales supportant les filières et formant avec elles le garde-corps

choquer = le contraire de border : donner du mou à une drisse, une écoute, un cordage, le laisser filer un peu

abattre = modifier le cap en s’éloignant du lit du vent

grand largue = allure portante, entre vent de travers et vent arrière

3 thoughts on “Rinçage de chandeliers

  1. Dyna, c’est extraordinaire de pouvoir lire tes mots aussi rapidement !
    Quel récit!!!
    Je sais pas les mots justes, je vais vite relire les tiens pour t’accompagner.
    Cédric et moi, on t’embrasse.

  2. joli…. c’est comme dans le début de film avec Robert , mais avec 2 différences : les dauphins + le fait que tu as bien mieux anticipé et géré que lui !!!!

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