Teeeeeeeerre !

38.32N
28.37W

Ça y est !!!! Arrivée à Horta, Faial, à minuit ! Sans souci, tout bien, guidée par le sublime parfum d’herbe fraîchement tondue. Un régal !

Yann – de Sashi – était là avec sa lampe torche pour m’indiquer une micro-place à couple d’un catamaran au fond du port.. Ouf, merci, le port est archi plein, j’aurais galéré !

Ambiance récupération courses lessive, fait beau, le lieu est magnifique et il fait beau.

Allegria !

Un camaïeu de gris

38°18N
29°42W

Après une aube des plus poussiéreuses, la journée s’annonce tout aussi dépourvue de couleurs.

Je vous la fais dans le style des romans qui occupent mes journées en ce moment, attention prêt partez feu :

D’un vermillon chaleureux contrastant agréablement avec un ciel composé du plus singulier camaïeu de gris perle et d’anthracite qu’il eut été donné de contempler sous ces latitudes pourtant modérées, la coque chatoyante du fier vaisseau, dont les voiles déployées ainsi que l’aile du majestueux albatros cherchaient vainement un appui inexistant sur le souffle asthmatique d’une brise souffreteuse afin de soulager le valeureux engin mécanique qui propulsait souplement le navire vers sa prochaine escale, émulsionnait sans relâche le flot teinté de plomb et d’obsidienne que l’étrave sombre, après l’avoir impitoyablement fendu, parait d’une mousseline aussi effervescente qu’éphémère dont les bulles fantasques tourbillonaient à l’occasion d’une ultime et lente valse autour du plongeur du régulateur d’allure avant de s’évaporer dans le sillage lascif qui pétillait moelleusement à la façon d’une coupe de vin de Champagne.

… Voilà.
Il y en a quatre tomes, je vais m’attaquer au troisième (et je suis toujours en vie !)

A première vue, comme ça, ça peut paraître un peu indigeste.. voire criminel.. pourtant je vous assure que pour trouver le sommeil, c’est radical !

Donc fait grisouille, suis au moteur en essayant de faire porter un peu par les voiles, et en plus il pleuvine. Mais le courage m’a manqué tout à l’heure pour caser « une fine bruine dont la fraîcheur pénétrante, que les teintes moroses de la voute nuageuse roulant de plus en plus bas sur l’océan velouté qu’une lente houle nord nord est
animait d’un souffle de monstre assoupi accentuaient encore, enveloppait comme d’un lourde capeline humide le frêle (!!!) corps intégralement drapé de fourrures polaires de celle qui écrivait ces lignes.. »

Je vous embrasse !

Autogoal !

38°14N
30°23W

Hé ben,

haha, il y a au moins une personne qui suit – et qui me le fait savoir, ça fait plaisir !

Rapport à la dernière position envoyée qui se trouve être « légèrement » erronée. Quand j’dis qu’chu pas toute à moi..!! il fallait lire 38°02N en lieu et place de 32°02N, donc ! Car en dépit d’une inextinguible envie d’assister à la finale de la coupe du monde sur site, Baroga se dirige toujours bien vers Faial, aux Açores.

A part ça, on serait peut-être mieux plus au Sud parce qu’autour du 38e Nord le temps se dégrade franchement. Il est 4:45 du matin, la couleur du ciel hésite entre vieille huile de vidange et fond de sac d’aspirateur.. Plus de vent du tout.. par où ça va venir ?? Nouveauté supplémentaire, une heure d’arrivée s’affiche sur le traceur ! Minuit et demi la nuit prochaine. Ach, j’ai pas super envie de m’engager dans le couloir de vent entre deux îles by night, moi !

Va falloir que je traîne un peu en route, je crois..

Saudade

Hier, j’ai cuisiné mon chou blanc. Avec des oignons (évidemment) et du cumin, sur la recommandation de môman, consultée par sms pour l’occasion. Il était énorme et avant qu’il ne s’abîme, il est passé à la casserole en entier.

Je ne sais pas pourquoi, mais dans mon souvenir, le chou, ça réduisait à la cuisson ?? Non ?

Tel n’étant pas le cas, me voilà l’heureuse propriétaire d’un autocuiseur débordant de légume (dont je ne suis pas fan) à engloutir
en 24h. Olé. Il n’aura pas fait le voyage pour rien, le chou ; je ne vais quand même pas le balancer maintenant..

Pff.. Je crois que je ne suis pas tout à moi en fait.. saudade ! Plus que 160 miles à parcourir, et depuis 48h tous les éléments s’allient pour faire des cette fin de traversée un rêve éveillé..

Arf. Je vais vivre ces moments à fond, ya que ça à faire.
Bon je ne sais plus quoi dire..

Voici donc une photo du Barog tout content dans la brise et le soleil couchant hier soir (vous me pardonnerez le plan rapproché, je manque un peu de recul !)

Une image, 10000 mots…

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Quart d’heure réflexif

37°32N
34°12W

Autant le dire tout de suite : aujourd’hui je ne suis pas très inspirée, ça risque d’être un peu plat par rapport au syndrôme Cromagnon, d’avance toutes mes excuses. Ca doit être dû à la fin de la traversée approche.. Il reste 280 miles, soit environ trois jours de nav. Je suis presque en train de rassembler mes amarres et de vérifier mes papiers officiels !

J’appréhende un peu le retour sur terre.. Le port et ses manoeuvres (angoisse de niveau 27, il y a des témoins aussi !), les formalités, se faire comprendre en portugais sans parler portugais, réfléchir à la suite de l’itinéraire, téléphoner, retirer des sous, acheter des choses.. ouf lala, ça m’épuise rien que d’y penser.. pobrecita que soy !

Mentalement, calée dans ma couchette, j’égrène tout ce qui va bientôt me manquer :

– Me mettre à la disposition du bateau et des éléments, ne travailler que pour eux (parfois beaucoup et longtemps !), caler mon rythme de vie sur leurs aléas respectifs et oublier tout le reste

– A force d’être secouée, trouver étrange de penser qu’il existe des lieux statiques, des lits horizontaux, des cuisinières fixes *, et qu’on puisse se déplacer sans se tenir avec au moins une main. Faire du mouvement perpétuel ma norme quotidienne..

– En dehors des moments d’attention requis par la navigation, composer nuits et journées exactement comme l’envie me prend, façon grande ado sur le tard : un ciné à 4h du mat ? ok ! une sieste entre 10h et 14h ? pas de problème. Une pizza oignons bolognese une heure après le pti déj ? c’est comme si c’était fait ! De la musique à fond, vraiment à fond, n’importe laquelle et à n’importe quelle heure ? claaaaaro que si, hombre 😉

– Ne louper le coucher de soleil sous aucun prétexte et le regarder 45 minutes sans rien faire s’il est beau

– Vivre à fond cette paix joyeuse et sauvage qui s’installe après une semaine de nav… d’où elle sort ? Ha ça ! si je savais…

Depuis le grain d’hier, tous les HP se sont mis d’accord pour nous rendre la fin de séjour inoubliable, à Baroga et moi. Le vent souffle régulièrement sur un océan soyeux, les levers et couchers de soleil et de lune flamboient matin et soir, des troupeaux de nuages duveteux et inoffensifs tamponnent un ciel incroyablement pur et frais. Une vraie carte postale.. toute bleue avec un petit bateau au milieu !

Moyenne de 6 nd, toutes voiles dehors, cap à l’Est mon capitaine !

***

Plusieurs fois, on m’a dit : « Ecris ! tu te souviendras mieux ». C’est sûrement vrai. Mais au delà du simple plaisir que cela procure, si j’écris ces moments, je veux dire : si je vous les écris, c’est aussi parce que je serai peut-être bien incapable d’en parler « après », en différé, quand sera venu le moment de raconter, au téléphone dans quatre jours ou devant un feu de cheminée dans l’hiver genevois.

« Alooors, c’était comment ?? »
« Heuu, ben… bien !… »

* sur un voilier, pour pouvoir épouser le mouvement imposé par les vagues, les cuisinières sont montées sur des cardans dans l’axe longitudinal du bateau. C’est un peu technique pour cuisiner mais.. les casseroles restent généralement pleines !

Rinçage de chandeliers

36°56N
37°13W

De très nombreuses « premières fois » émaillent ce voyage depuis le premier jour. Première nav en mer, premiers détails à réparer, premières nuits en mer, premier mouillage, première traversée en solo, …

Ce matin, c’est la première fois que je mets les chandeliers* dans l’eau. La première fois que je passe du calme plat à la grosse baston, d’une vitesse quasi nulle à 9.7 nd en 45 secondes.. Toutes voiles dehors, à 0.9 nd, j’étais en train de me résigner à mettre le moteur quand le grain est arrivé. C’était un gros, gros, gros grain du matin. Je l’avais vu au radar, énorme tache jaune sur l’écran.
Comme beaucoup d’autres, mais plus gros et surtout beaucoup, beaucoup plus rapide.. En mettant la tête dehors, en plus de l’énorme nuage noir, je remarque une dizaine de dauphins, autour du cockpit, en train de faire des ronds dans l’eau – bizarre. Le temps de sortir prendre deux ris, le grain est là ! En une fraction de seconde, sous un double arc-en-ciel fluo, entouré de dauphins, Baroga se couche : je suis en train de rouler le foc, ça claque de partout, j’ai l’impression que le mât va se casser en deux ! Sept tonnes, d’un coup sur le côté comme ça, comme un jouet dans une baignoire.. Ca fait très, très bizarre… je choque* tout, j’abats* le plus possible, il reste couché.. le pied des chandeliers est dans l’eau ! On va a une vitesse phénoménale, incroyable ! Une pluie drue et horizontale se mêle à l’écume arrachée du sommet des vagues.. Je finis de rouler le foc, l’arc-en-ciel dessine maintenant une double arche psychédélique parfaite au-dessus de Baroga qui fait route à fond la caisse vers le soleil rasant du matin.. dans le cockpit, je me tiens quasiment debout sur la partie verticale des coffres, celle qu’on a derrière les mollets quand on est assis. Le foc est roulé, on est grand largue. Passé le gros moment d’adrénaline, le bateau stabilisé, il n’y a plus rien à faire que contempler les forces de la nature à l’oeuvre.. c’est fascinant, sauvage, démesuré, stupéfiant, somptueux ; ça a la beauté terrible et hypnotique desmonstrueuses créatures de légende.. wahou. Un grand moment.

Sept minutes plus tard, Baroga fait à nouveau le bouchon dans un vent inexistant. En me penchant à l’intérieur pour constater les dégâts, je remarque de l’eau au fond du bateau.. et puis il y a deux rangements, à la hauteur des hanches, qui sont pleins d’eau aussi, avec leur contenu qui flotte dedans ? Mais que s’est-il passé ?? Je finis par comprendre le bateau était tellement couché que l’eau est entrée par l’écoulement de la plonge (!!!) et s’est déversée à l’intérieur de ces bacs de rangement, qui ont eux même débordé dans le bateau..!

Après une demi-heure de rinçage / séchage, je sors régler les voiles – une légère brise s’est levée. Les dauphins sont toujours là, de part et d’autre du cockpit ! Je vais lâcher les deux ris, dérouler le foc, ils s’en vont.. merci les copains d’avoir été là dans ce moment hors du commun.

Il n’y a pas à dire, la mer, ça rend humble..

* Définitions dès à présent tirées de Voiles, Mers lointaines, îles et lagons, 2e édition, Bernard MOITESSIER, Editions Flammarion, 2012

chandeliers = tiges de fer verticales supportant les filières et formant avec elles le garde-corps

choquer = le contraire de border : donner du mou à une drisse, une écoute, un cordage, le laisser filer un peu

abattre = modifier le cap en s’éloignant du lit du vent

grand largue = allure portante, entre vent de travers et vent arrière

Jamais sans ma petite laine

36°18N
40°10W

Me voici ce soir à 565 miles des Açores dans un petit flux WNW tout ce qu’il y a de plus rafraîchissant. 19°, ça faisait longtemps. J’apprécie moyennement.

Bon. Le point positif, c’est qu’en ayant choisi l’option plus Nord, je me retrouve plus proche des dépressions qui passent au Nord de l’anticyclone des Açores.
Il y a un peu plus de vent – ce qui était le but – et surtout, il y a de plus grosses vagues ! Un vrai relief aquatique, une colline à escalader toutes les huit ou neuf secondes : une belle houle de 3 – 4 mètres. C’est beau, c’est l’Atlantique, j’adore !
Oui mais voilà, pas de bol, depuis hier soir je l’ai quasiment de travers.. c’est à dire que j’avance vers l’ENE et que la houle m’attrape sur babord, car elle vient du NW. Chaque vague passe latéralement sous Baroga, ce qui lui donne des mouvements de landau géant secoué avec énergie par une ogresse impatiente que son rejeton s’endorme (ou se réveille ? ou pleure ??).
Déjà que le bateau a d’excellentes prédispositions structurelles pour danser la gigue.. c’est rock’n’roll, le débattement en tête de mat me semble faire plusieurs mètres parfois !

Je m’étais bien doutée qu’en choisissant l’option plus Nord, par la force des choses, j’allais me retrouver.. plus au Nord. Serais-je punie pour avoir eu l’outrecuidance de caper sur le Groenland ? Toujours est-il qu’en quatre jours, l’eau a perdu six degrés et l’air, douze !! Me voici devant mon ordi, avec la tenue-type de l’entre-saison genevois : sous-pull à col roulé, pull en laine, collant thermique et… chaussettes de rando dans les Crocs.. ach jaaa, ultra-glam la demoiselle, c’est moi qui vous le dis. Et avec tout ça plus un litre de soupe aux nouilles, j’ai encore froid aux mains.

Mais qu’est-ce que je vais devenir ????

Au bol !

36°19N
40°09W

A toutes celles et ceux qui s’en vont à l’assaut du Léman ce matin à l’occasion du Bol d’Or, je souhaite un bon vent, une bise espiègle et accomodante, un dézaley mérité pour ceux qui iront le chercher, un séchard vespéral dans le spi, de gouleyantes risées, un joran pas trop méchant, une vaudaire de bonne humeur et pourquoi pas, éventuellement un coup de pouce du môlan à l’aller ! Que les thermiques soient avec vous, que le carbone soit célébré, que le triradial se déploie, que la coupe du monde soit éclipsée le temps d’un tour de lac !

Ite missa est !

Des oignons et des hommes

35°52N
41°42W

Belle ambiance depuis hier soir grâce à un bon 5-6 Bf, avec les creux de 2,5 mètres, l’écume, les embruns, les rafales et les longs hululements dans les haubans. Après plusieurs tentatives, c’est la combinaison trois ris, six tours dans le foc et trinquette qui me permet de tenir le petit largue requis sans partir au tas tout le temps *. J’ai pas dormi grand chose
cette nuit mais ouéééé ! Là ça semble stable !

Baroga a avalé plus de 160 miles en 24h pour la première fois de cette transat retour : bonheur ! et dans la bonne direction en plus !

Après toutes ces manoeuvres à jeun – enfin, sans compter les patates au bouillon de la veille piquées à chaque passage dans la casserole avant de m’élancer vaillamment dans la tourmente – j’ai comme qui dirait un petit creux. Et ce petit creux-là, je le connais bien, il appelle ce qui doit être mon vice alimentaire numéro un quand je suis sur un bateau… les oeufs au plat ! Rien que d’y penser, mon coeur cabriole et mes papilles s’affolent !

L’oeuf au plat a de très nombreuses qualités. Hormis le fait d’être facile et rapide à préparer, délicieux, sain et nourrissant, il s’accommode surtout de n’importe quel moment de la journée : petit déj, pic-nic du midi, goûter, repas du soir, milieu de la nuit. Sans hésitation et sans remords. Tout comme le chocolat, d’ailleurs.

Je le fais varier à l’infini mais aujourd’hui, il sera en version printanière, une de mes préférées. Deux oignons de printemps (des petits, ceux des îles ont la taille d’un stylo Bic) en fines rondelles, y compris le vert, dans un peu d’huile d’olive. Faire revenir.. Casser deux oeufs par dessus, saler, poivrer, ajouter un peu de coriandre moulue, un peu de persil, servir avec des Tuc ou des biscuits salés ou des biscottes ou du pain, et un peu de bon ketchup : welcome in paradayzzz ! Oh que je me réjouis !!!

Me voici donc à quatre pattes devant mon frigo, absorbée dans la contemplation des oignons de printemps. Lesquels ont meilleure allure ? Lesquels semblent les plus croquants ? …Et c’est là que je réalise avec stupéfaction – dans quelles autres circonstances aurais-je pu réaliser un truc pareil.. – que l’homo nauticus (cf post d’hier) n’est pas le seul à développer un instinct de survie prononcé sur l’océan : cela fait deux semaines que mes oignons continuent de pousser à l’intérieur du frigo !

Pour le coup, j’en ai presque des scrupules à les couper en morceaux : they are alive !

* 5-6 Bf = vent soutenu de 8 à 13.8 m/s
haubans = cables métalliques qui maintiennent le mat vertical foc = voile triangla à l’avant qui se roule sur elle-même
trinquette = voile triangle à l’avant, petite et plus proche du mat.
partir au tas = le bateau se couche et remonte face au vent d’un coup dans une rafale

Voilà c’est un peu à la louche mais j’espère que ça ira 😉