Vernissage & Vidéos

Bonjour,

Le printemps arrive !

je vous invite à venir le célébrer le
24, 25, 26, 27, 28 ou 29 mars 2015

à la salle communale de Confignon, à l’occasion de l’expo Artisan’Art, qui rassemble cette année plus de 20 exposants – dont ma môman et moi 😉

Vous serez reçu-e-s avec un verre de rosé entre de magnifiques pastels (ma mère), des layettes fantaisies (si, si) et des posters colorés (ma pomme). Je me réjouis de vous voir !

Capture d’écran 2015-03-11 à 13.36.48

Par ailleurs et sans transition, voici une série de vidéos de navigation. Certains d’entre vous m’avaient proposé de les mettre sur le blog.. C’est chose faite !

Au plaisir de vous retrouver bientôt,

Bise et bonne journée !

Back on ze lake !

Ça y est !

Baroga a bien reploufé dans l’eau douce (et froiiiiiiide), le stratus est bien accroché entre Salève et Jura ; j’ai bien chopé la super grippe saisonnière made in TPG (Transports publics genevois).. pas de doute, je suis bien de retour au bout du lac… Hé oui

Devinez quoi ? Les 23487234 nuances de grisaille me barbent déjà 😉 Alors pour tromper le mois de novembre, j’ai replongé dans mes photos de voyage. Prête à les partager avec qui voudra autour d’un verre ou d’un café, j’ai aussi préparé pour vous tout plein de :

Calendriers photos 2015 !!

Et pour vous faire envie :

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Je vous souhaite un magnifique mois de décembre, à très bientôt,

Bise !

Dyna

Douche – partie 1

« Douche ».

Pas terroche, comme son. D’accord, il y a « doux » et « shhh » dedans…

Mais quand même, vous ne trouvez pas moche, vous, le mot « douche », pour rendre hommage à cette abondance cascadante de gouttelettes chaudes qui nous lave, nous apaise et nous réchauffe ? Et pour décrire en même temps le havre miniature de paix et d’intimité dans lequel on la prend ?

« Douche ». Personnellement, je trouve un peu court. Un peu sec. Je ne sais pas, il faudrait au moins trois syllabes. Une finale longue, de belles voyelles, quelque chose d’harmonieux, de souple, de sensuel… Ben ouais, quoi !

Il faut dire qu’à force que vivre sur de l’eau salée avec des provisions d’eau douce limitées, la perspective d’une douche terrestre classique prend des proportions tout-à-fait inédites. Vingt jours de mer.. ou sept, ou même un seul, à suer en bataillant avec les voiles. Ou à geler, trempée par les grains et les embruns. Douche ? Lavage au seau d’eau salée, rinçage rapide dans le cockpit avec trois litres d’eau douce, souvent à température ambiante. Ça a son charme, j’en conviens ! Mais, lorsque pour une raison ou pour une autre, une marina se profile à l’horizon… une idée fixe revient. La marina… et sa douche ! Une Vraie Douche avec des Murs et une Porte et de l’Eau Douce et Chaude qui coule du plafond ! Toute seule, sans devoir pomper manuellement pour avoir de la pression, sans devoir chauffer l’eau à la bouilloire, sans compter les litres… Le bonheur !

Bien entendu, une marina se doit tout d’abord d’offrir un abri sûr à mon bien-aimé bateau. Si possible, elle sera bon marché et offrira eau, électricité, une laverie pas loin et une bonne base de départ pour les randonnées. Mais la douche… les douches des marinas quand on voyage en voilier, c’est… c’est comme les repas quand on voyage en avion. Exactement pareil. Vous savez, quand on choisit un vol long courrier : au moment de confier notre petite personne à engin de tôle qui va nous emmener à 900 km/h et à 10000 mètres au-dessus du plancher des vaches, on pourrait au moins se préoccuper de la résistance des métaux en altitude et des heures de vol du capitaine, mais non ! Nous voilà soudainement assaillis de vastes préoccupations existentielles, donnant lieu à des prises de renseignements vitaux du genre :

– Et alors, les repas, sur le Zürich Dubaï Singapour Boston Madrid ?

– Ha, une horreur ! Rien que les petits déj’ : une sorte de pâtisserie immonde qui n’avait du croissant que le nom. Et je ne te raconte pas le poulet curry du lunch, qui sentait le torchon mal essoré dans tout l’avion !! Une in-fec-tion.

– Oulàaa mon paaaauvre… et les snacks ? yavait des snacks, pour compenser, au moins ? Et il faut payer le vin, avec les repas ?

– Alors les snacks, ça allait. Boissons gratuites, café pas top mais passable. A toi de voir…

… Hé oui ! Concentrés sur l’essentiel, inévitablement et toujours, nous sommes.

Donc pour les douches de marina, c’est pareil. Sauf qu’il n’y a pas forcément moyen de se renseigner avant. Alors, en arrivant en vue de la côte, je m’offre parfois le grand frisson : je me la représente, je me l’imagine, je la visualise, cette douche… Selon mon état de salaison et de fatigue, je la fantasme : Comment sera-t-elle ? Avec cafards ou sans ? Chaude, l’eau ? Et le débit ? De quoi se rincer les cheveux proprement ou pas ? Faudra-t-il marcher plus de dix minutes pour s’y rendre ? Et culpabiliser au bout de deux en plein shampoing tellement il y a de monde qui attend ? Sentira-t-elle le moisi ou la javel ? Y aura-t-il des cheveux qui bouchent l’écoulement ? Des crochets à l’intérieur pour que mes petites affaires ne s’effondrent pas dans un vague fond d’eau croupissante ? Un loquet pour fermer la porte de l’intérieur ? Suspennnnsssssss…

Sans rire, il y aurait de quoi écrire un bouquin sur le sujet. Car chaque douche de marina a sa personnalité propre, ses défauts et ses caprices… Il y a par exemple la douche pimpante avec marbre et bois précieux mais sans eau chaude, sauf entre midi et deux quand on n’en a pas besoin. La discrète moderne et fonctionnelle qui a autant d’âme qu’un camion frigorifique. La débordante de vie à toute heure – humains, mouches, cafards, champignons, fourmis, même une poule… La payante qui donne invariablement envie d’abuser et d’y faire sa lessive aussi pendant qu’on y est (sauf celle où l’on paie au débit). La bof-bof tellement moyenne qu’on l’oublie tout de suite. La secrète que je n’ai toujours pas trouvée malgré trois jours à ratisser méthodiquement la zone, la « fermée pour travaux juste cé weekend quel dommage mais si vous voulez vous pouvez vous doucher chez moi madémoiseeeelle ». Sans compter celle qui n’existe tout simplement pas et qui me fait atterrir, selon la marina, dans les douches communes et en plein air du camping hippy voisin ou dans celles du club de plongée du bled qui m’a pris en pitié… Olé.

Et puis il y a celle que je préfère par-dessus toutes, l’ultime, la quintessentielle : c’est la douche Happy End ! Elle ressemble d’abord à un rendez-vous foireux et fait regretter d’être venue, puis laisse vraiment redouter le pire avant de se transformer en coup de foudre total. J’aime ! Effets spéciaux, sensations fortes et dénouement heureux… un vraie superproduction américaine, tout y est !

Pour commencer, il y a l’appréhension sourde en discernant, à travers l’orage du soir, le bâtiment – décati et étayé de partout pour ne pas s’écrouler sur lui-même – qu’on m’a aimablement indiqué en me remettant une petite clé rouillée. Je m’y rends néanmoins d’un pas résolu. Lors de la phase d’approche, l’appréhension se transforme progressivement en malaise… Moisissure rampante, relents douteux, planches de contreplaqué délaminé qui pourrissent par-dessus les flaques, absence totale de signe de vie humaine dans un périmètre indéterminé… Je chancelle légèrement. Puis survient l’angoisse des derniers pas au milieu de lacs de boue dans lesquels le plâtre des façades se jette allègrement. Echafaudages, gravats, détritus divers, le terrain est miné… Je progresse en zigzagant dans une quasi obscurité car les plombs ont pété mais paraît-il que le néon de la douche fonctionne, lui. L’espoir fait vivre. Finalement arrivée devant une porte étroite et sombre, la petite clé entre les doigts, la tension devient insoutenable : me trouve-je réellement au bon endroit ? Que faire ? Surmonter ma répulsion ? Tourner les talons ? Mais pourquoi je pense au château de Barbe Bleue ??? Anne ma sœur Anne, courage… Après trois minutes d’apnée totale, les yeux écarquillés dans le noir, je découvre à tâtons le trou de la serrure (pas pensé à prendre la lampe frontale et après 250m sous le déluge, hors de question de faire demi-tour). Il me faut une minute de plus pour forcer la clé qui reste coincée dans la serrure sans ouvrir quoi que ce soit… Oh non, c’est trop injuste, j’en ai tellement rêvé de cette douche ! Nnnnooon ! Dans un ultime soubresaut de rage désespérée, je réessaie, tant pis pour ce que je vais découvrir… grrrgggnniiiikk la porte s’ouvre ! Je glisse un bras paniqué à l’intérieur et palpe fébrilement le mur humide à la recherche de l’interrupteur perdu…

Clic.

Un flot éclatant de lumière dorée éclabousse le minuscule espace qui sent bon l’essence de pin. Je cligne des yeux comme un hibou flashé en pleine nuit. Wahou, c’est beau ! Décors : un pommeau de douche très haut sur le mur carrelé, un mélangeur, deux crochets à habits, un mini miroir… S’il y avait des cafards, ils ont couru se cacher très très vite, merci les gars. Je commence à y croire, j’ai le palpitant à 130 ! Action : un pied à l’extérieur du bac de la douche, l’autre qui fait balancier au bout de ma jambe tendue à l’horizontale, je me plaque au mur, encore un peu méfiante. En extension maximale façon étoile de mer, j’avance une main tremblante vers le mélangeur tourné en position eau chaude… peux plus respirer… l’espoir renaît, plus fort que jamais ! Du bout des doigts, je pousse la poignée du mélangeur vers le haut… et là c’est la délivrance, le soupir de soulagement, le frisson de bonheur, Sigourney Weaver qui ressort enfin du vaisseau Alien avec la petite fille dans les bras : après quelques secondes de tiédeur, l’eau devient brûlante et pique la peau tant il y a de pression ! C’est inespéré, les larmes me montent presque aux yeux… Joie, allégresse, youpii ! Hop je referme la porte derrière moi, hop deux tours de clé : ça y est, je suis seule au monde, enfin en tête-à-tête avec ma douche.

Dix minutes plus tard : opération hammam dans les trois mètres cube de mon paradis. 250% d’humidité, 55° au moins, j’ai la peau aussi rouge qu’une langouste sur son barbecue. L’écoulement n’est pas bouché, mes affaires sont au sec, personne n’attend que je sorte pour prendre ma place – et pour cause. Paix et bonheur. Selon mon estimation, dans trois à cinq minutes, la vapeur s’échappera sous pression par l’encadrement de la porte. Paraît que ce type de cuisson, ça conserve les vitamines ; tant mieux ! Dieu que c’est bon… Presque parfait. Dommage, en effet, qu’il manque ma serviette éponge, très opportunément oubliée au bateau. On ne se refait pas…

Teeeeeeeerre !

38.32N
28.37W

Ça y est !!!! Arrivée à Horta, Faial, à minuit ! Sans souci, tout bien, guidée par le sublime parfum d’herbe fraîchement tondue. Un régal !

Yann – de Sashi – était là avec sa lampe torche pour m’indiquer une micro-place à couple d’un catamaran au fond du port.. Ouf, merci, le port est archi plein, j’aurais galéré !

Ambiance récupération courses lessive, fait beau, le lieu est magnifique et il fait beau.

Allegria !

Un camaïeu de gris

38°18N
29°42W

Après une aube des plus poussiéreuses, la journée s’annonce tout aussi dépourvue de couleurs.

Je vous la fais dans le style des romans qui occupent mes journées en ce moment, attention prêt partez feu :

D’un vermillon chaleureux contrastant agréablement avec un ciel composé du plus singulier camaïeu de gris perle et d’anthracite qu’il eut été donné de contempler sous ces latitudes pourtant modérées, la coque chatoyante du fier vaisseau, dont les voiles déployées ainsi que l’aile du majestueux albatros cherchaient vainement un appui inexistant sur le souffle asthmatique d’une brise souffreteuse afin de soulager le valeureux engin mécanique qui propulsait souplement le navire vers sa prochaine escale, émulsionnait sans relâche le flot teinté de plomb et d’obsidienne que l’étrave sombre, après l’avoir impitoyablement fendu, parait d’une mousseline aussi effervescente qu’éphémère dont les bulles fantasques tourbillonaient à l’occasion d’une ultime et lente valse autour du plongeur du régulateur d’allure avant de s’évaporer dans le sillage lascif qui pétillait moelleusement à la façon d’une coupe de vin de Champagne.

… Voilà.
Il y en a quatre tomes, je vais m’attaquer au troisième (et je suis toujours en vie !)

A première vue, comme ça, ça peut paraître un peu indigeste.. voire criminel.. pourtant je vous assure que pour trouver le sommeil, c’est radical !

Donc fait grisouille, suis au moteur en essayant de faire porter un peu par les voiles, et en plus il pleuvine. Mais le courage m’a manqué tout à l’heure pour caser « une fine bruine dont la fraîcheur pénétrante, que les teintes moroses de la voute nuageuse roulant de plus en plus bas sur l’océan velouté qu’une lente houle nord nord est
animait d’un souffle de monstre assoupi accentuaient encore, enveloppait comme d’un lourde capeline humide le frêle (!!!) corps intégralement drapé de fourrures polaires de celle qui écrivait ces lignes.. »

Je vous embrasse !

Autogoal !

38°14N
30°23W

Hé ben,

haha, il y a au moins une personne qui suit – et qui me le fait savoir, ça fait plaisir !

Rapport à la dernière position envoyée qui se trouve être « légèrement » erronée. Quand j’dis qu’chu pas toute à moi..!! il fallait lire 38°02N en lieu et place de 32°02N, donc ! Car en dépit d’une inextinguible envie d’assister à la finale de la coupe du monde sur site, Baroga se dirige toujours bien vers Faial, aux Açores.

A part ça, on serait peut-être mieux plus au Sud parce qu’autour du 38e Nord le temps se dégrade franchement. Il est 4:45 du matin, la couleur du ciel hésite entre vieille huile de vidange et fond de sac d’aspirateur.. Plus de vent du tout.. par où ça va venir ?? Nouveauté supplémentaire, une heure d’arrivée s’affiche sur le traceur ! Minuit et demi la nuit prochaine. Ach, j’ai pas super envie de m’engager dans le couloir de vent entre deux îles by night, moi !

Va falloir que je traîne un peu en route, je crois..

Saudade

Hier, j’ai cuisiné mon chou blanc. Avec des oignons (évidemment) et du cumin, sur la recommandation de môman, consultée par sms pour l’occasion. Il était énorme et avant qu’il ne s’abîme, il est passé à la casserole en entier.

Je ne sais pas pourquoi, mais dans mon souvenir, le chou, ça réduisait à la cuisson ?? Non ?

Tel n’étant pas le cas, me voilà l’heureuse propriétaire d’un autocuiseur débordant de légume (dont je ne suis pas fan) à engloutir
en 24h. Olé. Il n’aura pas fait le voyage pour rien, le chou ; je ne vais quand même pas le balancer maintenant..

Pff.. Je crois que je ne suis pas tout à moi en fait.. saudade ! Plus que 160 miles à parcourir, et depuis 48h tous les éléments s’allient pour faire des cette fin de traversée un rêve éveillé..

Arf. Je vais vivre ces moments à fond, ya que ça à faire.
Bon je ne sais plus quoi dire..

Voici donc une photo du Barog tout content dans la brise et le soleil couchant hier soir (vous me pardonnerez le plan rapproché, je manque un peu de recul !)

Une image, 10000 mots…

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Quart d’heure réflexif

37°32N
34°12W

Autant le dire tout de suite : aujourd’hui je ne suis pas très inspirée, ça risque d’être un peu plat par rapport au syndrôme Cromagnon, d’avance toutes mes excuses. Ca doit être dû à la fin de la traversée approche.. Il reste 280 miles, soit environ trois jours de nav. Je suis presque en train de rassembler mes amarres et de vérifier mes papiers officiels !

J’appréhende un peu le retour sur terre.. Le port et ses manoeuvres (angoisse de niveau 27, il y a des témoins aussi !), les formalités, se faire comprendre en portugais sans parler portugais, réfléchir à la suite de l’itinéraire, téléphoner, retirer des sous, acheter des choses.. ouf lala, ça m’épuise rien que d’y penser.. pobrecita que soy !

Mentalement, calée dans ma couchette, j’égrène tout ce qui va bientôt me manquer :

– Me mettre à la disposition du bateau et des éléments, ne travailler que pour eux (parfois beaucoup et longtemps !), caler mon rythme de vie sur leurs aléas respectifs et oublier tout le reste

– A force d’être secouée, trouver étrange de penser qu’il existe des lieux statiques, des lits horizontaux, des cuisinières fixes *, et qu’on puisse se déplacer sans se tenir avec au moins une main. Faire du mouvement perpétuel ma norme quotidienne..

– En dehors des moments d’attention requis par la navigation, composer nuits et journées exactement comme l’envie me prend, façon grande ado sur le tard : un ciné à 4h du mat ? ok ! une sieste entre 10h et 14h ? pas de problème. Une pizza oignons bolognese une heure après le pti déj ? c’est comme si c’était fait ! De la musique à fond, vraiment à fond, n’importe laquelle et à n’importe quelle heure ? claaaaaro que si, hombre 😉

– Ne louper le coucher de soleil sous aucun prétexte et le regarder 45 minutes sans rien faire s’il est beau

– Vivre à fond cette paix joyeuse et sauvage qui s’installe après une semaine de nav… d’où elle sort ? Ha ça ! si je savais…

Depuis le grain d’hier, tous les HP se sont mis d’accord pour nous rendre la fin de séjour inoubliable, à Baroga et moi. Le vent souffle régulièrement sur un océan soyeux, les levers et couchers de soleil et de lune flamboient matin et soir, des troupeaux de nuages duveteux et inoffensifs tamponnent un ciel incroyablement pur et frais. Une vraie carte postale.. toute bleue avec un petit bateau au milieu !

Moyenne de 6 nd, toutes voiles dehors, cap à l’Est mon capitaine !

***

Plusieurs fois, on m’a dit : « Ecris ! tu te souviendras mieux ». C’est sûrement vrai. Mais au delà du simple plaisir que cela procure, si j’écris ces moments, je veux dire : si je vous les écris, c’est aussi parce que je serai peut-être bien incapable d’en parler « après », en différé, quand sera venu le moment de raconter, au téléphone dans quatre jours ou devant un feu de cheminée dans l’hiver genevois.

« Alooors, c’était comment ?? »
« Heuu, ben… bien !… »

* sur un voilier, pour pouvoir épouser le mouvement imposé par les vagues, les cuisinières sont montées sur des cardans dans l’axe longitudinal du bateau. C’est un peu technique pour cuisiner mais.. les casseroles restent généralement pleines !

Rinçage de chandeliers

36°56N
37°13W

De très nombreuses « premières fois » émaillent ce voyage depuis le premier jour. Première nav en mer, premiers détails à réparer, premières nuits en mer, premier mouillage, première traversée en solo, …

Ce matin, c’est la première fois que je mets les chandeliers* dans l’eau. La première fois que je passe du calme plat à la grosse baston, d’une vitesse quasi nulle à 9.7 nd en 45 secondes.. Toutes voiles dehors, à 0.9 nd, j’étais en train de me résigner à mettre le moteur quand le grain est arrivé. C’était un gros, gros, gros grain du matin. Je l’avais vu au radar, énorme tache jaune sur l’écran.
Comme beaucoup d’autres, mais plus gros et surtout beaucoup, beaucoup plus rapide.. En mettant la tête dehors, en plus de l’énorme nuage noir, je remarque une dizaine de dauphins, autour du cockpit, en train de faire des ronds dans l’eau – bizarre. Le temps de sortir prendre deux ris, le grain est là ! En une fraction de seconde, sous un double arc-en-ciel fluo, entouré de dauphins, Baroga se couche : je suis en train de rouler le foc, ça claque de partout, j’ai l’impression que le mât va se casser en deux ! Sept tonnes, d’un coup sur le côté comme ça, comme un jouet dans une baignoire.. Ca fait très, très bizarre… je choque* tout, j’abats* le plus possible, il reste couché.. le pied des chandeliers est dans l’eau ! On va a une vitesse phénoménale, incroyable ! Une pluie drue et horizontale se mêle à l’écume arrachée du sommet des vagues.. Je finis de rouler le foc, l’arc-en-ciel dessine maintenant une double arche psychédélique parfaite au-dessus de Baroga qui fait route à fond la caisse vers le soleil rasant du matin.. dans le cockpit, je me tiens quasiment debout sur la partie verticale des coffres, celle qu’on a derrière les mollets quand on est assis. Le foc est roulé, on est grand largue. Passé le gros moment d’adrénaline, le bateau stabilisé, il n’y a plus rien à faire que contempler les forces de la nature à l’oeuvre.. c’est fascinant, sauvage, démesuré, stupéfiant, somptueux ; ça a la beauté terrible et hypnotique desmonstrueuses créatures de légende.. wahou. Un grand moment.

Sept minutes plus tard, Baroga fait à nouveau le bouchon dans un vent inexistant. En me penchant à l’intérieur pour constater les dégâts, je remarque de l’eau au fond du bateau.. et puis il y a deux rangements, à la hauteur des hanches, qui sont pleins d’eau aussi, avec leur contenu qui flotte dedans ? Mais que s’est-il passé ?? Je finis par comprendre le bateau était tellement couché que l’eau est entrée par l’écoulement de la plonge (!!!) et s’est déversée à l’intérieur de ces bacs de rangement, qui ont eux même débordé dans le bateau..!

Après une demi-heure de rinçage / séchage, je sors régler les voiles – une légère brise s’est levée. Les dauphins sont toujours là, de part et d’autre du cockpit ! Je vais lâcher les deux ris, dérouler le foc, ils s’en vont.. merci les copains d’avoir été là dans ce moment hors du commun.

Il n’y a pas à dire, la mer, ça rend humble..

* Définitions dès à présent tirées de Voiles, Mers lointaines, îles et lagons, 2e édition, Bernard MOITESSIER, Editions Flammarion, 2012

chandeliers = tiges de fer verticales supportant les filières et formant avec elles le garde-corps

choquer = le contraire de border : donner du mou à une drisse, une écoute, un cordage, le laisser filer un peu

abattre = modifier le cap en s’éloignant du lit du vent

grand largue = allure portante, entre vent de travers et vent arrière